[su_pullquote align=”right”]Par Sylvie Borau et Jean-François Bonnefon[/su_pullquote]
Alors que le nouveau maire de Londres souhaite interdire les publicités mettant en scène des mannequins féminins au corps trop maigre ou irréaliste, la question de l’efficacité publicitaire des mannequins « naturels » reste en suspens. En effet, même si de plus en plus de campagnes présentent des modèles plus ronds et plus réalistes, ces derniers restent largement minoritaires. Pourquoi ?
Alors que les publicités pour les produits cosmétiques destinés aux femmes mettent traditionnellement en scène des modèles à la beauté idéale, certaines marques ont commencé à faire évoluer leur stratégie de communication en présentant des modèles plus réalistes, moins retouchés et plus ronds, à l’instar de Dove.
La mise en scène de ces modèles, idéaux ou naturels, pose deux problèmes majeurs, l’un éthique, l’autre économique. D’un côté, les images idéalisées de la beauté féminine imposent un standard inatteignable qui peut avoir des effets négatifs sur le bien-être psychologique des femmes, en matière d’anxiété corporelle par exemple. De l’autre, le choix de la mise en scène d’un mannequin idéal ou naturel dans la publicité pose la question de son efficacité publicitaire. Du côté de l’annonceur comme de celui de l’agence de création, le choix de moins utiliser des images stéréotypées et retouchées, voire de les abandonner, se fondera principalement sur des critères d’impact publicitaire et probablement moins sur des considérations de responsabilité sociale. Il est donc crucial d’évaluer de manière plus précise les réactions des femmes à l’égard de ces modèles naturels ainsi que leur efficacité publicitaire. Si de nombreuses recherches se sont penchées sur la capacité d’un modèle idéal à générer de l’anxiété, moins d’attention a été accordée à la possibilité qu’un modèle naturel puisse également déclencher des émotions négatives. Or, si les modèles à la beauté idéale sont pris comme point de référence par les consommatrices, les modèles naturels peuvent être considérés comme des aberrations dans le paysage médiatique et provoquer de la répulsion, comme de la surprise désagréable voire du dégoût.
L’objectif de cette étude était de comparer les réactions des femmes à une publicité de magazine contenant un modèle idéal ou au contraire un modèle naturel, à la fois en termes de réactions affectives (anxiété corporelle, répulsion) et en termes d’impact publicitaire (attitude à l’égard de la publicité, attitude à l’égard de la marque et intention d’achat). Une moitié de l’échantillon était exposée au modèle idéal traditionnellement utilisé dans les publicités pour les produits cosmétiques, l’autre moitié au modèle naturel (une femme au corps plus réaliste, aux traits physiques non stéréotypés et à l’image non retouchée). En nous focalisant plus particulièrement sur deux émotions négatives, l’anxiété par rapport à l’apparence de son corps et la répulsion générée par les modèles, nous avions émis deux hypothèses : d’une part, que les modèles naturels diminuaient l’anxiété corporelle des lectrices, notamment pour celles avec un Indice de Masse Corporelle élevé (IMC), et que cela avait un effet positif sur l’impact de la publicité ; d’autre part, que ces modèles naturels augmentaient le sentiment de répulsion éprouvé par les femmes, avec un effet négatif sur l’efficacité de la campagne.
Concernant l’effet de l’exposition aux différents modèles sur les émotions négatives, il apparaît que le modèle naturel ne fait pas baisser l’anxiété corporelle des femmes. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que les répondantes ont déclaré un niveau d’anxiété déjà très élevé – ce dernier peut difficilement être davantage impacté par l’exposition à des images. En revanche, le modèle naturel génère de la répulsion, et davantage encore auprès des femmes avec un IMC élevé. Ces femmes, très insatisfaites par leur apparence, projettent probablement le sentiment de répulsion qu’elles ressentent à l’égard de leur corps sur le modèle naturel. Concernant l’effet de ces émotions négatives, les résultats montrent que l’anxiété corporelle augmente l’efficacité de la publicité, c’est-à-dire que plus une femme est anxieuse à l’égard de son apparence, plus elle aura tendance à apprécier la publicité et la marque, et plus elle aura tendance à vouloir acheter le produit. Cet effet positif de l’anxiété sur l’impact publicitaire est plutôt contre-intuitif – les émotions négatives ayant généralement un effet négatif sur la performance publicitaire. L’autre résultat, plus logique, est que la répulsion a un effet négatif sur l’efficacité de la publicité.
Au final, ces résultats ne sont pas très encourageants si l’on considère le hiatus existant entre les politiques publiques, qui veulent encourager l’utilisation de modèles naturels, et les professionnels de la publicité, plus préoccupés par l’efficacité économique d’une telle stratégie, qui ont intérêt à mettre en avant des mannequins idéaux. Que faudrait-il faire alors pour sortir d’une telle contradiction et réconcilier considérations éthique et économique ? Si l’on souhaite à la fois être efficace et ne pas générer d’émotions négatives qui peuvent soit augmenter l’efficacité, en ce qui concerne l’anxiété, soit la décroître pour ce qui est de la répulsion, l’alternative pourrait consister à ne pas mettre en scène de modèles, qu’il soit idéal ou naturel. Certaines marques ont adopté cette troisième voie, en particulier dans le domaine de la parapharmacie. Ce type de stratégie, plus respectueuse du bien-être du consommateur, suppose de construire un discours publicitaire plus informatif, se situant davantage dans le registre de l’argumentaire que celui de l’émotion. De nouvelles investigations pourraient permettre d’affiner ces conclusions, par exemple en s’intéressant à d’autres catégories de produits que les cosmétiques, en présentant d’autres types de modèles, ou en interrogeant d’autres réactions que les émotions, comme la crédibilité que les lectrices accordent au modèle et à la publicité.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Une expérimentation a été réalisée auprès d’un échantillon de 400 femmes françaises âgées de 18 à 35 ans, représentatives de la société française en termes d’IMC, niveau d’éducation, catégorie socio-professionnelle et statut marital. Les répondantes étaient exposées à un magazine féminin en ligne dans lequel était insérée une publicité pour un produit cosmétique, illustrée soit par un modèle idéal, soit par un modèle naturel. Elles devaient ensuite répondre à un questionnaire.[/su_spoiler]
[su_note note_color=”#f8f8f8″]Sylvie Borau est professeur de marketing à Toulouse Business School depuis 2013. Auparavant, elle a travaillé pendant 8 ans dans des instituts d’études, notamment au Canada. Sa thèse, obtenue à l’IAE de Toulouse en 2013, lui a valu de remporter en 2014 le prix de thèse Sphinx et d’être finaliste du prix AFM-FNEGE. Ses travaux de recherche portent sur le comportement du consommateur, et plus précisément sur l’attractivité physique dans la publicité. En 2016, elle a publié dans The International Journal of Advertising, en collaboration avec Jean-François Bonnefon, Directeur de Recherche CNRS à Toulouse School of Economics : « The advertising performance of non-ideal female models as a function of viewers’ body mass index: a moderated mediation analysis of two competing affective pathways ».[/su_note]