Par Amelie Abadie, Professeur de Marketing à TBS Education

Cet article fait le résumé de deux publications en collaboration avec plusieurs professeurs partenaires (dont Pr Soumyadeb Chowdhury à TBS Education), respectivement dans le Journal of Business Review (CNRS 2, FNEGE 2,) et sur The Converstion.com.


Dans son ouvrage « Sapiens : une brève histoire de l’humanité », le Professeur Yuval Noah Harari nous indique que la force de l’Humain face à la Nature est son imagination. La capacité de l’Homme à interpréter son environnement et développer une fiction sur celui-ci, qu’il transmet et ancre dans la mémoire collective sous forme d’une connaissance, représente cet avantage de survie face au monde sauvage. L’individu codifie son expérience et la transmet à un autre, que ce même receveur interprète et personnalise à la sienne, créant un ordre social singulier à l’espèce Humaine.

Dans le monde de l’entreprise aujourd’hui, cet univers sauvage apparaît aussi à l’œil des équipes au rythme des évolutions technologiques constantes et disruptives. Il s’agit de saisir l’opportunité d’un avantage compétitif au travers de machines performantes et désormais intelligentes. Selon les analyses économiques récemment publiées par les cabinets PwC, IBM, Gartner Research ou Deloitte, l’Intelligence Artificielle aura accru le PIB mondial de 15% en 2030. Ces bénéfices sont déjà visibles : l’Intelligence Artificielle améliore la performance des unités de production, automatise des tâches, assiste l’Humain dans les processus de décision, de recrutement, et prédit les performances à venir ou tendance. En effet, l’IA recense les stimuli présents dans la chaine de valeur et dans l’organisation qu’elle accumule dans les mégadonnées. Elle en analyse le contenu grâce à l’apprentissage automatique et profond de ses données via des réseaux neuronaux numériques, analyse dont elle modélise une histoire logique quelle transmet à d’autres machines par l’internet des objets, ou à nous, collaborateurs humains.

En ce, l’Intelligence Artificielle représente un animal numérique plus que menaçant pour le salarié, reprenant cette force de fiction dans des capacités virtuelles. Ce sont les peurs d’être remplacés par les machine intelligentes ou de voir ses responsabilités réduites au sein de la coopération en équipe qui freinent aujourd’hui encore les entreprises les plus modernisées vers une adoption réussie de l’Intelligence Artificielle. Principalement, le manque de connaissances partagées et clarifiées sur cette technologie, et ses bénéfices, sont à la base de mauvaises utilisations de l’IA et des croyances limitantes des salariés.  Selon le World Economic Forum, l’adoption de l’IA par les entreprises a déjà rendu près de 75 millions d’emplois superflus entre 2018 et 2022. Seulement, le World Economic Forum précise qu’elle a également favorisé la création de 133 millions d’emplois associés, pour développer, collaborer, superviser et maintenir les IA durant ces dernières années. Les entreprises sont ainsi invitées par certains professeurs et professionnels à élargir la perspective de leurs équipes vers les bénéfices et les connaissances liées à l’Intelligence Artificielle.

Ce fut aussi l’objectif du travail de recherche « AI-Employee collaboration and business performance: Integrating knowledge-based view, socio-technical systems and organizational socialisation framework », publié dans le Journal of Business Research (CNRS : 2, FNEDGE : 2) en coécriture entre les professeurs Soumyabeb Chowdhury et Amélie Abadie, de TBS Education, Pawan Budhwar, Prasanta Kumar Dey et Sian Joel-Edgar, de Aston Business School. Dans cette démarche d’étude, la connaissance y est présentée comme la fondation d’un capital, à la fois social et technologique, qui incarne l’identité même de chaque entreprise, la rendant unique, inimitable et rare. Dans cette perspective narrative, les auteurs ont soutenu la thèse qu’un culture organisationnelle du partage de connaissance était alors vectrice de capacités à « socialiser » cette technologie au sein des équipes de travail, et à faire fructifier la collaboration Homme-IA vers la performance commerciale.

Dans les industries créatives, l’usage d’Intelligences Artificielles s’est accru, assistant les artistes dans la création d’œuvres, secteur pourtant basé sur la créativité humaine, aux activités difficilement automatisables. C’est ce terrain qui a été choisi pour mettre le modèle théorique de cette recherche à l’épreuve de la réalité, dans une étude par questionnaire, auprès de 164 salariés du secteur créatif familiers des IA, en Grande Bretagne entre Octobre et Novembre 2020. Cette culture du partage de connaissance, où les salariés ont pour réflexe de transmettre leur expérience, en la codifiant, et de s’approprier celle des autres, en la personnalisant, améliore les capacités de l’entreprise à acquérir des capacités valorisant la collaboration Homme-IA. Précisément, une entreprise qui instaure des valeurs de partage des connaissances motive le développement naturel de compétences liées à l’Intelligence Artificielle, comme le développement de programmes informatiques, la maîtrise des logiciels d’IA ou la maintenance des infrastructures d’IA. Le partage de connaissances impacte aussi positivement la compréhension des salariés quant aux enjeux de l’IA pour leur entreprise. Ils identifient ce que veux dire IA, où l’appliquer et quels en sont les bénéfices. Enfin, le partage des connaissances implique clarté rehaussée sur le changement que peut apporter l’adoption de l’IA pour le salarié. Celui-ci comprend alors mieux comment se définit sa responsabilité face à la machine, quelles sont les activités dont il reste souverain et ce qu’il peut déléguer et attendre d’un robot intelligent. Les compétences, la compréhension et la clarté sur l’Intelligence Artificielle qui découlent d’une culture du partage de connaissances lorsque l’entreprise adopte cette technologie est surtout à la base d’une confiance du salarié quant à l’assistant intelligent. Confiance qui est renforcée par ses connaissances acquises et transmises, mais qui, si elle vacille, est aussi supportée et rassurée par ses collègues dans un esprit collaboratif.

Ces principes de connaissance, confiance et collectivité entraînent l’entreprise qui adopte l’Intelligence Artificielle vers une collaboration Homme-IA réussite, augmentant ses performances économiques et opérationnelles face aux concurrents. Aujourd’hui, le succès de l’Intelligence Artificielle apparaît encore à l’œil de beaucoup d’entreprises comme anecdotique ou comme menaçant, échouant parfois à comprendre l’humain. Pourtant, selon les résultats de l’article « AI-Employee collaboration and business performance: Integrating knowledge-based view, socio-technical systems and organizational socialisation framework », il ne s’agit pas d’attendre que l’Intelligence Artificielle ne progresse suffisamment pour appréhender sans échec toutes les facettes de la créativité humaine. Au contraire, il s’agit plutôt de mobiliser nos capacités ancestrales d’humains à transmettre nos expériences et se rassembler autour de narratifs pour appréhender le développement de l’Intelligence Artificielle.