[su_pullquote align=”right”]Par Servane Delanoë[/su_pullquote]
Dans la création d’entreprise, on s’intéresse souvent plus au projet qu’à l’entrepreneur. Or cette démarche a des implications personnelles très fortes. L’évaluation des programmes de soutien personnalisé gagnerait en pertinence à prendre davantage en considération l’évolution du ressenti des entrepreneurs sur leur capacité à mener à bien leur projet, notamment sur les aspects liés à la stratégie et au financement.
Qu’y a-t-il derrière une démarche d’entrepreneuriat ? Un projet, bien sûr, qui aboutit ou non à une création d’entreprise, mais aussi et surtout un individu, le porteur de projet ou entrepreneur naissant, qui, quelle qu’en soit l’issue, sortira durablement transformé par l’expérience. Cette démarche constitue en effet une forme d’apprentissage, au cours duquel la création acquiert de nouvelles compétences, des perceptions, développe des réseaux. S’il parvient à créer son entreprise, cette transformation personnelle apportera des armes utiles à son développement. Dans le cas contraire, il pourra mettre à profit cet acquis pour préparer un projet d’entrepreneuriat ultérieur voire l’utiliser dans une activité salariée.
Le porteur de projet a la possibilité de ne pas rester isolé dans sa démarche. Il est même encouragé à participer à des programmes d’accompagnement, qui peuvent impacter le projet mais aussi avoir un effet sur la personne. Malheureusement, dans l’évaluation de ces programmes, cette dimension personnelle n’est que rarement prise en compte : pour juger de leur efficacité, on a tendance à s’intéresser davantage à la satisfaction des participants ou au fait qu’ils parviennent à créer leur entreprise, mais pas aux effets que les programmes peuvent avoir sur l’entrepreneur naissant. Le but de notre étude, menée auprès des participants d’un programme d’accompagnement mis en place par les CCI de Bretagne, était précisément d’analyser cet impact personnel, en se focalisant non pas sur les compétences réelles du porteur de projet mais sur son auto-efficacité entrepreneuriale perçue, c’est-à-dire le jugement qu’il porte sur sa capacité à créer une entreprise.
Cette perception d’auto-efficacité entrepreneuriale, développée à l’origine en psychologie, est un déterminant essentiel pour se lancer dans la création d’entreprise, car le fait de ne pas s’en sentir capable peut constituer un frein majeur. Si elle est correctement évaluée, elle peut même favoriser la ténacité de l’entrepreneur face aux difficultés rencontrées. Toutefois, il s’agit d’une perception, qui n’est pas forcément représentative des capacités réelles, certains individus ayant tendance à se sous-estimer quand d’autres, à l’inverse, surestiment leurs capacités. Elle est enfin évolutive, en fonction de quatre grandes influences, l’expérience personnelle, l’observation des autres, la persuasion verbale par des tiers et l’état émotionnel ressenti.
L’étude cherchait à mesurer l’évolution de l’auto-efficacité perçue par des entrepreneurs naissants ayant suivi un programme d’accompagnement en les interrogeant au début de leur projet, puis un an plus tard. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que la participation à un dispositif de soutien personnalisé ait un effet positif sur l’évolution de l’auto-efficacité entrepreneuriale perçue (c’est-à-dire que les porteurs de projet se sentent plus capables de créer leur entreprise) les résultats indiquent plutôt une baisse globale. Dans le détail, seule l’auto-efficacité entrepreneuriale administrative, qui concerne la planification du projet et les différentes formalités, évolue positivement, alors que les perceptions liées à la stratégie et au financement ont tendance à se dégrader.
Ces résultats peuvent s’expliquer par la confrontation avec la réalité. Au début du processus, beaucoup d’entrepreneurs naissants ont en tête une image de complexité administrative et se focalisent sur cet aspect, pour se rendre compte que, contrairement à ce qu’ils présupposent, ce n’est pas le plus compliqué, d’autant plus que depuis plusieurs années un certain nombre de mesures de simplification ont facilité ces procédures. Dans le même temps, ils prennent conscience de la difficulté à trouver des clients et des financements, de l’existence de concurrents, du manque de temps… autant d’aspects stratégiques parfois sous-estimés au moment de monter leur projet.
Ce résultat, pour surprenant qu’il soit, montre l’intérêt d’avoir une appréciation objective de l’aide à l’entrepreneuriat, en s’intéressant aux impacts individuels : l’objectif des programmes d’accompagnement est en effet d’aider les porteurs de projet à mettre en place des entreprises viables et à prendre conscience des réalités du terrain, pas nécessairement qu’un maximum d’entre eux aillent au bout de leur projet. Ce n’est donc pas une mauvaise chose que des candidats à la création d’entreprise se sentent moins capables à la fin du processus qu’au début. Un participant qui décide finalement de ne pas créer son entreprise, en prenant conscience de l’importance de la clientèle, du réseau, a l’occasion de se poser les bonnes questions, de réajuster sa capacité perçue, voire, parfois, de se rendre compte qu’il n’est pas fait pour l’entrepreneuriat. Il pourra se lancer dans le projet suivant mieux armé, en tout cas avec des perceptions plus réalistes.
Cette méthode d’évaluation constitue un outil précieux pour faire évoluer les programmes d’accompagnement, avec des implications pratiques quasi immédiates. Il pourrait par exemple être intéressant d’adopter une approche différenciée selon que les personnes au départ sous-estiment ou surestiment leurs capacités à créer une entreprise, afin de les amener à une perception plus réaliste. Concernant le cas analysé dans le cadre de cette étude, les programmes d’accompagnement pourraient insister davantage sur les aspects stratégiques et la recherche de financement. Ces résultats constituent une avancée vers une évaluation objective des dispositifs de soutien aux entrepreneurs naissants. Il serait désormais intéressant de les affiner en travaillant sur un échantillon d’entrepreneurs naissants plus représentatif et d’étendre la recherche à différents types de soutien possibles.
[su_note note_color=”#f8f8f8″]Servane Delanoë-Gueguen est enseignant-chercheur en entrepreneuriat et en stratégie d’entreprise à Toulouse Business School, responsable de l’incubateur TBSeeds et co-responsable de l’option professionnelle « entrepreneur ». Elle est titulaire d’un PhD de l’Open University (UK) portant sur l’entrepreneuriat naissant. Ses recherches portent sur l’entrepreneuriat naissant, les écosystèmes entrepreneuriaux, l’aide à la création d’entreprise, l’intention entrepreneuriale et les processus d’incubation. Cette publication est une synthèse de l’article « Aide à la création d’entreprise et auto-efficacité entrepreneuriale », publié en 2015 dans la Revue de l’entrepreneuriat.[/su_note]
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Pour mener ce travail de recherche, Servane Delanoë-Gueguen a réalisé une étude longitudinale. A partir d’une revue de littérature, elle a élaboré un modèle théorique avec 3 hypothèses de recherche postulant l’évolution sur un an de l’auto-efficacité entrepreneuriale des porteurs de projet ayant suivi un programme d’accompagnement et ayant concrétisé ou non leur projet, avec une différenciation par sexe. Le modèle a ensuite été testé auprès d’un groupe d’entrepreneurs naissants. La première année, 506 personnes ont répondu à un questionnaire permettant d’évaluer leurs perceptions entrepreneuriales. L’année suivante, 394 d’entre elles ont pu être recontactées, sur lesquelles 325 avaient réellement un projet de création en cours. Sur cet échantillon, 193 personnes ont répondu à nouveau au questionnaire. [/su_spoiler]