[su_pullquote align=”right”]Par Uche Okongwu[/su_pullquote]
L’optimisation de la chaîne d’approvisionnement est avant tout une question de compromis entre la volonté de satisfaire ses clients et la nécessaire recherche de rentabilité. En agissant sur différents paramètres de planification de la supply chain, chaque acteur peut atteindre la performance correspondant à sa stratégie et à ses objectifs.
La notion de chaîne d’approvisionnement est vieille comme l’économie : de l’approvisionnement à la production et à la livraison, les acteurs successifs intervenant sur un marché donné constituent les maillons d’une chaîne, respectivement clients et fournisseurs les uns des autres. Mais le renforcement de la concurrence et le phénomène de la mondialisation ont amené les entreprises à prendre conscience du fait que les acteurs de leur chaîne d’approvisionnement partagent un objectif commun, celui de satisfaire le client final. Dès lors, l’organisation et la performance de cette chaîne d’approvisionnement (ou supply chain) revêtent une importance stratégique cruciale et croissante pour les entreprises. L’exemple de l’industrie aéronautique, où l’augmentation des cadences de production pour répondre à la forte demande, crée des tensions sur l’ensemble de la chaîne, revient régulièrement dans l’actualité économique et illustre ce rôle stratégique. Mais cette problématique concerne en réalité tous les secteurs de l’économie, aussi bien dans l’industrie que dans les services. Des chercheurs et des managers ont commencé, depuis une vingtaine d’années, à mener de nombreuses réflexions sur la manière d’optimiser la gestion de la supply chain pour améliorer la performance des entreprises, autour des notions de collaboration, d’intégration et de partage de l’information.
La difficulté, pour répondre à cette problématique, réside dans la complexité même de la supply chain : outre le nombre de maillons, il faut prendre en compte le nombre d’indicateurs de performance et surtout le nombre de paramètres sur lesquels une entreprise peut agir pour atteindre ses objectifs de performance, qui est infini. Jusqu’à présent, la recherche s’était focalisée sur un paramètre ou l’autre, parfois en les combinant de manière limitée. Notre étude propose d’aller plus loin en croisant pour la première fois plusieurs paramètres positionnés sur différentes fonctions de la chaîne (planification, approvisionnement, production, livraison), et en se demandant quelle combinaison de déterminants donnera la performance optimale.
La première question à se poser est celle des indicateurs de la performance de la supply chain, qui sont multiples et parfois contradictoires, certains étant liés à la rentabilité de l’activité, d’autres à la satisfaction du client final. Pour notre étude, nous en avons retenu trois : la marge bénéficiaire, le respect des délais et le fait de livrer les quantités demandées. Dans l’idéal, une chaîne optimale permettrait de viser le maximum sur tous ces paramètres, mais dans la réalité, aucune entreprise ne peut prétendre être la meilleure sur tous les plans. Il faut donc à un moment donné trouver un compromis, en fonction de son marché et de ses objectifs, en acceptant de « sacrifier » une partie de sa performance sur tel ou tel indicateur. En cela, la notion de performance optimale de la supply chain dépend donc des objectifs que se fixe l’entreprise en termes de rentabilité ou de satisfaction client, mais aussi de sa position sur son marché. Tout l’enjeu de la planification de la supply chain est donc de trouver ce compromis.
Le cas sur lequel nous avons travaillé est inspiré d’un cas réel. Il s’agit d’une chaîne d’approvisionnement dans le domaine du mobilier fabriquant des tables et des étagères. Parmi les 12 paramètres génériques de planification de la chaîne d’approvisionnement que nous avions identifiés, nous avons choisi d’en faire varier six et d’observer le résultat de la simulation sur nos critères de performance : l’horizon de planification (court ou long), la capacité de production en moyens humains (constante ou adaptée à la demande), le séquençage de la production (priorité aux commandes les plus anciennes ou aux plus récentes), la durée du cycle, la fiabilité des prévisions et l’existence ou non de stocks.
Dans le cas de cette supply chain, il apparaît par exemple que la capacité de production a un fort impact sur la marge et sur la capacité à répondre à la demande, tandis que le séquençage influe davantage sur le respect des délais et sur la bonne réponse à la demande.
Ces résultats confirment l’hypothèse de départ, à savoir que différentes combinaisons de paramètres de planification auront des impacts différents sur les indicateurs de performance. Les différents paramètres de planification ne peuvent pas être pensés indépendamment des critères de performance, d’où la nécessité de faire des choix. La combinaison idéale des paramètres dépend de la performance recherchée par l’entreprise.
Les managers chargés de la planification de la supply chain disposent avec le modèle développé dans cette étude d’un outil théorique et pratique d’aide à la décision leur permettant de déterminer la combinaison optimale en fonction des priorités définies par l’entreprise. Le cadre et la méthodologie proposés, ainsi que les résultats obtenus constituent une réelle avancée de la recherche. Pour aller plus loin, il serait intéressant de combiner davantage de paramètres encore, pour peu que les moyens de simulation informatique le permettent, et de tester le modèle sur des structures de supply chain différentes et dans d’autres configurations de marché.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Pour réaliser cette étude, Uche Okongwu (TBS), Matthieu Lauras (TBS, Mines Albi), Julien François et Jean-Christophe Deschamps (Université de Bordeaux) ont réalisé une revue de littérature sur le thème de la performance de la supply chain. A partir de la question de recherche : « quelle combinaison de déterminants de planification de la supply chain permettent d’optimiser la performance de la supply chain ? », les auteurs ont modélisé des équations qu’ils ont testées sur le cas réel d’une supply chain dans le secteur du mobilier. L’étude a été publiée en janvier 2016 dans le Journal of Manufacturing Systems, sous le titre : « Impact of the integration of tactical supply chain planning determinants on performance ».[/su_spoiler]
[su_note note_color=”#f8f8f8″]Professeur de Management des Opérations et de Supply Chain Management à Toulouse Business School depuis 1991, Uche Okongwu a mené une double carrière d’ingénieur et de conseil en organisation industrielle et de chercheur. Il a obtenu en 1990 son doctorat en génie industriel à l’Institut National Polytechnique de Lorraine (Nancy). A TBS, après avoir créé le pôle organisation industrielle et le Aerospace MBA, il est aujourd’hui directeur de la prospective et de l’innovation pédagogique. Uche Okongwu a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques sur la thématique du management de la supply chain.[/su_note]