Par Alain Klarsfeld (TBS), Kevin Carillo (TBS) et Gaëlle Cachat-Rosset, (Université de Montréal).

Parmi les travailleurs autonomes 83 % sont satisfaits, voire très satisfaits, à l’égard du télétravail.

Malgré les conditions difficiles du confinement, la satisfaction à l’égard du télétravail apparaît élevée, en particulier pour les personnes travaillant en autonomie, même si elles notent une hausse de la quantité de travail. C’est ce qu’il ressort d’une enquête que nous avons conduite entre le 2 et le 16 avril auprès d’environ 1 220 salariés français. L’ensemble des répondants était en télétravail, pour la plupart contraint par leur employeur (à 77 %).

D’après notre étude, 80 % des répondants se déclarent en effet « satisfaits » ou « très satisfaits » en télétravail. En outre, contre toute attente, la perception d’une quantité de travail fournie plus élevée en télétravail est allée de pair avec une satisfaction plus élevée. Cela s’explique en grande partie par le fait que les télétravailleurs se sont sentis plus productifs quand des conditions propices à leur satisfaction étaient réunies.

Des managers plus confiants

L’autonomie est un facteur décisif dans la satisfaction à l’égard du télétravail. Parmi les travailleurs étant « tout à fait d’accord » avec le fait qu’ils disposent d’une « grande autonomie » pour faire leur travail, le pourcentage de satisfaits et très satisfaits est de 83 %, alors qu’il n’est que de 56 % de satisfaits et très satisfaits chez les salariés les moins autonomes.

Mais les salariés sont plus mitigés en ce qui concerne le sentiment d’être plus productif (partagé par 34 % des répondants seulement contre 29 % d’un avis inverse, 37 % étant neutres), ou encore le désir de continuer à télétravailler (38 % y sont favorables, mais 41 % défavorables, 21 % étant neutres).

Si une certaine méfiance à l’égard du télétravail pouvait être de mise avant la crise, ce n’est relativement plus le cas à la suite du confinement. Le sentiment de méfiance qui ressort de notre enquête est en effet faible : une minorité de salariés pensent que « les membres de leur équipe en télétravail passent du temps à faire autre chose que les tâches qui leur sont assignées. »

Le pourcentage de confiants est même plus élevé chez les managers que chez les non-managers, ce qui est pour le moins inattendu, les managers étant parfois présentés – avant la crise du coronavirus – comme un frein à la diffusion du télétravail du fait de leur sentiment de perte de contrôle. Or, 65 % des managers (contre 60 % des non-managers) affichent une confiance élevée à l’égard des membres de leur équipe. Seuls 10 % avouent être méfiants. Le reste affichant une confiance moyenne.

Les femmes moins libres de gérer leur temps

Il ressort également de notre étude que, en situation de travail au domicile contraint, les femmes restent plus exposées à des risques d’épuisement que les hommes. Le télétravail tel qu’il a été organisé a effet contraint les salariés à travailler en présence de personnes dépendantes, généralement des enfants.

Parmi les télétravailleurs, les femmes ont été plus accaparées par des personnes dépendantes, c’est-à-dire demandant « plus de 4 heures d’attention qui empiètent sur le temps de travail » chaque jour. Elles sont 10,3 % des répondantes, en France, à être dans ce cas extrême, contre 7 % des hommes. On observe également que les femmes sont nettement plus nombreuses à avoir recherché du soutien émotionnel que les hommes (48 % contre 26 %) pendant le confinement.

En télétravail, les femmes restent plus sollicitées que les hommes par leurs enfants.
David Pereiras/Shutterstock

Enfin, elles sont significativement moins nombreuses que les hommes à penser que « les choses allaient comme elles le voulaient » (60 % et 71 % respectivement) lorsqu’elles ont répondu à l’enquête. Pour autant, leur niveau de satisfaction à l’égard du télétravail est sensiblement le même que celui des hommes. Seraient-elles moins exigeantes que les hommes et si oui, pourquoi ? Seule une nouvelle recherche permettrait de répondre à ces interrogations.

Ne pas confondre autonomie et isolement

Au bilan, nos résultats apparaissent comme encourageants quant à la diffusion de cette pratique dans le futur, notamment au vu du contexte difficile dans lequel le télétravail a été expérimenté (télétravail contraint, improvisé, souvent en présence de personnes dépendantes).

Il ressort en outre que, pour un développement du travail le plus satisfaisant possible pour tous, il existe de nombreux leviers d’action.

Cela passe par un certain nombre de conditions :

  • accorder au salarié de l’autonomie dans l’exercice de ses activités
  • veiller à ce que le domicile soit aussi un lieu de travail confortable avec des technologies adaptées ; à défaut, proposer un tiers lieu proche du domicile du salarié et répondant à ces critères
  • mettre en place des mesures de conciliation entre vie privée et vie professionnelle (formules de garde d’enfants appropriées au télétravail par exemple) ;
  • former aux compétences digitales décisives dans ce mode d’organisation en gardant à l’esprit que la digitalisation doit être perçue comme ayant un sens par rapport à la qualité et à la quantité du travail à fournir, car il ne s’agit pas de faire de la digitalisation à tout crin ;
  • lutter contre l’isolement sur les plans formel (suivi du travail par le manager) et informel (contact informel et soutien émotionnel des collègues).

Il convient d’insister sur ce dernier point, car si une grande autonomie permet de bien vivre le télétravail, c’est à condition que soient préservées des relations avec autrui. L’isolement est le facteur qui impacte le plus négativement les variables de satisfaction à l’égard du télétravail. Il doit donc être combattu à tout prix.


Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche internationale associant Kevin Carillo et Alain Klarsfeld (TBS Education), Gaelle Cachat-Rosset et Tania Saba (Université de Montréal) et Josianne Marsan (Université Laval).

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