[su_pullquote align=”right”]Par Yuliya Snihur[/su_pullquote]
Dans la construction de l’identité organisationnelle de leur entreprise, les créateurs de start-up innovantes doivent valoriser simultanément sa spécificité et son appartenance à une catégorie d’entreprises existantes. L’objectif est d’atteindre « la distinction optimale » qui consiste à trouver un juste équilibre entre une identité différenciée par rapport aux autres entreprises et une identité faisant partie d’une catégorie déjà bien reconnue. Cet équilibre est important pour permettre aux start-up d’acquérir réputation et légitimité.
Etre unique mais pas trop, telle est la question. Les premières années de la vie d’une entreprise sont cruciales pour la construction de son identité. Durant cette période, le créateur (ou la créatrice) fait des choix stratégiques qu’il (ou elle) doit mettre en place rapidement pour que le projet entrepreneurial survive et se développe mais dont les conséquences seront difficiles à modifier sur le long terme. L’objectif est de parvenir à valoriser la singularité de l’entreprise en rassurant ses clients et partenaires potentiels sur sa normalité : on appelle cet équilibre la « distinction optimale ». Pour cela, il faut trouver la bonne distance entre le fait d’être unique, qui contribue à la réputation de l’entreprise, et la nécessité d’être comme les autres, de faire partie d’un groupe ou d’une catégorie existante reconnue, qui apporte de la légitimité.
A la recherche de la distinction optimale Cet enjeu de la construction de l’identité s’impose à toute nouvelle entreprise, mais il s’impose avec encore plus d’intensité à celles qui innovent et qui introduisent de nouveaux business models, c’est-à-dire une manière d’exercer leur activité en rupture avec les pratiques existantes dans leur secteur. Ces dernières n’ont encore, par définition, ni histoire ni parcours et sont inconnues du grand public qui ne dispose d’aucune référence ni de point de comparaison sur lequel s’appuyer pour leur accorder sa confiance.
La question que pose notre étude est de savoir quels moyens mettent en œuvre ces entreprises innovantes au premier stade de leur développement pour acquérir une réputation et une légitimité auprès de leurs différents publics externes. Pour y répondre, nous avons analysé la manière dont quatre jeunes entreprises avaient construit leur identité, ces start-up ayant en commun d’avoir introduit un nouveau business model, mais appartenant à des secteurs d’activité différents : la santé, la restauration, le digital et l’hôtellerie. Les résultats permettent d’identifier quatre actions spécifiques que l’on retrouve dans tous les cas : il s’agit du story-telling, de l’utilisation d’analogies, de la recherche d’évaluations ou d’accréditations, et de l’établissement d’alliances ou de partenariats. A partir de ces résultats, nous proposons un modèle théorique qui établit un lien entre chaque action menée et ses conséquences sur l’identité de l’entreprise telle qu’elle est perçue par son public externe, chacune étant susceptible d’influencer à la fois la réputation et la légitimité de l’entreprise.
Affirmation de soi et reconnaissance extérieure Les deux premières actions incombent uniquement au créateur (créatrice) et agissent sur le mode de proclamation ou de revendication de l’entreprise dès le début de son activité. Le story-telling raconte la genèse de l’aventure et permet de lui donner du sens. S’il valorise l’expérience individuelle ou la personnalité du créateur (créatrice), il influera sur la réputation de l’entreprise ; s’il met plus en valeur un enjeu de société, comme le développement durable, il contribuera plutôt à asseoir sa légitimité. De leur côté, les analogies permettent d’expliquer l’apport de l’entreprise en la comparant à ce que font d’autres acteurs dans d’autres secteurs, proches ou éloignés, de l’activité de l’entreprise. Lorsque ces acteurs appartiennent au même secteur d’activité, on parle d’une analogie locale qui a pour objectif d’agir sur la légitimité de l’entreprise ; dans le cas où ils appartiennent à des secteurs différents, il s’agit d’une analogie plus distante qui aboutira à un renforcement de sa réputation.
Les deux autres types d’action impliquent plus largement l’ensemble des collaborateurs. Ces actions doivent être engagées dans un second temps car elles demandent un délai de mise en œuvre plus long et font appel à une reconnaissance plus objective des compétences de l’entreprise par d’autres sociétés ou organismes. L’évaluation par des tiers peut prendre de multiples formes qui vont des classements et palmarès à des démarches de certification ou d’accréditation. Dans le premier cas, l’évaluation devra accroître sa réputation, dans le second cas elle agit sur sa légitimité. Enfin, l’établissement de partenariats permet, par des actions ponctuelles, de nouer des relations avec un tiers dans le but de bénéficier d’une association d’image, ce qui favorise la réputation de l’entreprise, ou bien justifie son appartenance à un groupe ou une catégorie et lui confère de la légitimité.
Des conséquences à confirmer dans de nouvelles recherches La taille de notre échantillon et la courte période sur laquelle l’étude a été menée ne permettent pas de tirer des conclusions générales sur les effets de ces quatre actions. Néanmoins, la réplication de résultats similaires sur un échantillon de quatre entreprises appartenant à quatre secteurs différents permet d’énoncer les hypothèses qui apportent une nouvelle contribution à la théorie de l’identité des entreprises, notamment dans le cas particulier des entreprises qui proposent une innovation de business model dans leur secteur. Ces hypothèses pourront être testées dans de futures études sur des échantillons plus importants et à des stades plus avancés du développement des entreprises. Sur le plan pratique, les nouveaux entrepreneurs engagés dans une démarche d’innovation pourront y trouver des indications sur le timing et les actions à mettre en œuvre pour construire l’identité de leur entreprise.
[su_spoiler title=”Méthodologie”]L’approche choisie pour cette étude qualitative est celle de l’étude de cas multiples. Pour la réaliser, Yuliya Snihur a sélectionné les quatre entreprises les plus innovantes en termes de leurs business models dans quatre secteurs différents parmi un échantillon représentatif de 165 entreprises sélectionnées au départ. Les résultats ont été obtenus en soumettant à l’étude 620 pages de sources documentaires internes et externes fournies par les entreprises et 29 entretiens avec des personnes internes (fondateurs, salariés) et externes (investisseurs, clients) aux entreprises. L’étude a été publiée en février 2016 dans la revue Entrepreneurship & Regional Development, sous le titre « Developing optimal distinctiveness: organizational identity processes in new ventures engaged in business model innovation »[/su_spoiler]