[su_pullquote align=”right”]Par Pierre-André Buigues[/su_pullquote]
En dépit des aides publiques importantes dont bénéficie la filière viande française, celle-ci perd pieds face aux autres pays européens qui sont pourtant, eux aussi dans la zone euro. C’est, en effet le marché européen qui explique l’essentiel de la dégradation des positions françaises, et non la mondialisation, la Chine ou les pays émergents.
Quelle que soit la filière, volaille, porc ou bovin, l’élevage français est en difficulté par rapport à ses concurrents européens . – La filière porcine française : Sa production a sensiblement baissé, passant d’environ 25,5 millions de porcs par an en 2000 à 21 millions en 2016 alors qu’elle augmentait dans plusieurs autres pays européens. En 2000, les productions françaises et espagnoles étaient équivalentes, l’Espagne produit aujourd’hui 46 millions de porcs annuellement. La France est désormais importatrice nette de viande de porc. La compétitivité de la filière s’est érodée car elle souffre de coûts trop élevés et d’un manque d’investissements. – La filière bovine française : La France est le premier producteur européen de viande bovine, en 2015 : 1,49 millions de tonnes contre 1,12 en Allemagne et 0,9 au Royaume-Uni. 79% de la viande consommée en France est d’origine nationale. Les importations sont essentiellement européennes. Cependant, les revenus moyens des éleveurs spécialisés en viande bovine sont parmi les plus bas de l’agriculture et sont fortement orientés à la baisse. En 2014, le revenu courant après impôt serait inférieur de 22 % à la moyenne sur longue période (2000-2013). – La filière avicole française a également enregistré une baisse de sa production au cours de la dernière décennie. La France a été le deuxième exportateur mondial de volaille mais elle importe aujourd’hui 40% des volailles qu’elle consomme. Le pays est déficitaire en volume et en valeur avec les pays de l’Union européenne, et ce déficit continue de se creuser. Les importations françaises de viande de volailles proviennent surtout de pays européens et beaucoup moins des pays non européens comme le Brésil, ou les USA. Comment expliquer cette forte dégradation du commerce de la viande française ? Nous retiendrons ici deux des principales causes de ce déclin :
Le refus français d’une industrialisation de la filière viande, d’où des économies d’échelle insuffisantes La France a toujours soutenu l’agriculture familiale mais les marchés internationaux de la viande sont surtout des marchés de volume où le prix est le critère déterminant. Contrairement au marché domestique français où la qualité mesurée par des labels (label rouge, fermier) constitue un avantage compétitif, à l’international le prix est déterminant. Alors que l’Allemagne se positionne sur des produits bon marché et standardisés et a une image « industrielle » pour les produits carnés, la France a une image « gastronome » de produits chers. Malheureusement, à ce stade de développement du marché international de la viande dont la croissance est portée par les marchés émergents, il y a peu d’intérêt pour la qualité. Le coût est donc la variable stratégique du succès sur les marchés internationaux or la filière viande française souffre de coûts élevés et d’une absence d’économies d’échelle.
Dans la production de porc, la taille moyenne des élevages est en France comprise entre 1000 et 2000 porcs contre de plus grandes structures de 2000 à 5000 porcs au Danemark et aux Pays-Bas. De plus, entre 2000 et 2010, la taille moyenne d’un élevage de porc a augmenté de 98% au Danemark, 37% aux Pays-Bas, 29% en Espagne et seulement 16% en France. Enfin, les abattoirs allemands dépassent souvent 50 000 porcs abattus annuellement. En France, il faudrait beaucoup moins d’abattoirs et bien plus modernes.
Dans la viande bovine, la France souffre également d’un problème de taille des exploitations. Le procès fait en France à la seule ferme de mille vaches ( ferme ultramoderne avec une installation géante qui transforme la bouse en énergie grâce à un méthaniseur et est équipée de panneaux solaires), montre que l’opinion française est hostile à l’industrialisation de l’élevage. Il y aurait en Allemagne, plus de 200 unités qui dépassent le millier de têtes quand en France, les unités de plus de 350 têtes se comptent sur les doigts d’une main.
Dans la production de poulet, les exploitations françaises sont beaucoup plus nombreuses et de bien plus petite taille qu’en Allemagne : Les élevages allemands, néerlandais et britanniques sont les plus grands d’Europe et dépassent en moyenne 60 000 places. En France, plus de la moitié des élevages de poulet ont entre 1 000 et 10 000 places, du fait de l’importance des productions sous signes de qualité et d’origine (Label Rouge, biologique, AOC), dont les cahiers des charges limitent la taille des bâtiments.
Avec une taille d’exploitation qui ne permet pas d’économie d’échelle et avec des coûts de main d’œuvre supérieur à certains de ses concurrents européens, l’élevage français est en grande difficulté et perd des parts de marché.
Une avalanche de normes coûteuses et une surrèglementation par rapport aux normes européennes
La sévérité des normes constitue un facteur incontestable des difficultés économiques de la filière viande française. Souvent compliquées et quelquefois incompréhensibles, ces normes impliquent une charge administrative très lourde pour les exploitants. Un rapport du Sénat chiffre, en moyenne à 15 heures par semaine le travail de bureau de l’agriculteur. Deux raisons principales expliquent le coût relatif élevé de ces normes en France. En premier lieu, dans l’élevage français, les entreprises sont souvent, comme nous l’avons vu, de petite taille par rapport aux concurrents européens. Elles n’ont donc pas de moyens humains et financiers suffisants pour assimiler et mettre en œuvre ces normes. En second lieu, les normes changent souvent dans ce secteur, les normes environnementales sont de plus en plus exigeantes et nécessitent des investissements très lourds.
Quel avenir pour l’élevage français ?
L’Europe agricole n’est plus seulement un espace régulé par la Politique Agricole Commune mais un espace de concurrence. Pour le développement de l’élevage français, deux stratégies sont possibles : – Stratégie de développement d’un élevage orienté vers la qualité : Comment trouver des débouchés pour une production haut de gamme avec des labels forts à l’exportation qui permettent à de petites exploitations de survivre avec des coûts élevés ? Le modèle est celui des vins français qui ont des prix en moyenne deux fois supérieurs à ceux des concurrents et se vendent pourtant très bien. Ce scénario « haut de gamme » pourrait sauver l’élevage français. Cependant, cette stratégie suppose des investissements considérables dans le marketing et les réseaux de distribution à l’international. – Stratégie du développement d’un élevage intensif à coût bas : Comment baisser les coûts de production ? Par des restructurations lourdes, et la disparition des « petits élevages » non compétitifs. Des investissements massifs seraient alors également nécessaires pour un élevage ultra moderne, les pouvoirs publics favorisant les fermes de très grandes tailles, automatisées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Existe-t-il un scénario intermédiaire ? Xavier Beulin, l’ancien Président de la FNSEA donnait le chiffre de 6 milliards d’euros d’investissement nécessaire « pour développer une troisième voie entre l’agriculture industrielle et la diversité, l’agriculture plurielle et la high-tech, l’agriculture bio et la robotique ».
[su_spoiler title=”Méthodologie”]Cette article s’appuie sur: Elie Cohen et Pierre-André Buigues « Le décrochage industriel », Fayard, 2014; et Pierre-André Buigues, « Refonder l’agriculture française » Journée de l’économie, Jeco , Lyon, Novembre 2016 [/su_spoiler]