[su_pullquote align=”right”]Par Geneviève Cazes-Valette[/su_pullquote]
Cet article constitue le second volet d’une série sur la consommation de viande en France. Le premier volet se proposait d’analyser les résultats d’une étude* réalisée en juin dernier. Ces résultats témoignaient d’une baisse de la consommation carnée dans l’Hexagone ces dernières années, et de l’intention d’un nombre grandissant de personnes de réduire cette consommation à l’avenir.
La plupart des travaux de recherche expliquent – tout particulièrement depuis la première crise de la « vache folle » du printemps 1996 –, la baisse de consommation de viande en se référant au risque perçu par les consommateurs à l’idée d’en manger. Ce « risque perçu » peut être motivé par différentes raisons. Avant même la crise de la « vache folle », le danger de cette consommation sur un plan médical était déjà clairement évoqué, principalement via l’excès de cholestérol. Depuis, c’est la question du lien entre consommation carnée et cancer qui préoccupe, comme en témoignent les récentes annonces de l’OMS.
Une autre source de risque, apparue récemment dans les médias, concerne les menaces que l’élevage fait peser sur l’environnement, à cause des émissions de gaz mais aussi de l’utilisation de quantités de protéines végétales pour nourrir les troupeaux et ne produire au final que peu de protéines animales. Enfin, si, dès 1996, la question du risque éthique lié à la mort infligée à un animal pour le manger était présente, on constate depuis une préoccupation grandissante concernant les conditions de vie de l’animal avant sa mort (dans ce cadre précis, les élevages intensifs s’opposent aux extensifs).
Notre étude avait pour but de déterminer si la fréquence de consommation de viande, ainsi que la baisse de celle-ci dans le passé ou à l’avenir, pouvait s’expliquer par le risque perçu, lui-même influencé par la préoccupation des répondants concernant leur santé, la protection de l’environnement ou le bien-être animal.
Que disent les résultats bruts relatifs à ces différentes mesures ? Sur une échelle de 1 à 7 points (le score le plus bas signifiant « pas de risque perçu », « pas de préoccupation envers la santé, l’environnement ou le bien-être animal »), on note que le risque perçu à consommer de la viande est globalement très moyen (3,7/7). Au niveau des différentes préoccupations liées à ce risque, les chiffres sont les suivants : 5,43/7 en ce qui concerne la préoccupation des répondants à l’égard de l’environnement, 5,51/7 pour leur propre santé et, 5,86/7, pour le souci du bien-être animal. Ces données nous semblent refléter un nouvel état d’esprit chez les mangeurs, assez différent du discours médiatique centré sur les arguments santé.
La question du bien-être animal préoccupe une part grandissante des consommateurs français. iStock Photos
La fréquence de consommation et son éventuelle diminution dépend-elle bien du risque perçu ? Oui : plus on perçoit de risque, plus on aura tendance à s’abstenir fréquemment de viande maintenant et à l’avenir. Le risque perçu dépend-il des facteurs que nous avions prévu ? Pas tout à fait : la préoccupation pour sa santé en général et le souci du bien-être animal n’augmentent pas le risque perçu. Seule la préoccupation pour l’environnement, en particulier pour la biosphère (règnes végétaux et animaux), augmente le risque perçu. En revanche, la fréquence actuelle de consommation de viande ne dépend pas seulement du risque perçu, mais aussi du souci du bien-être animal : plus cette question est importante aux yeux des répondants, moins souvent ils consommeront de la viande.
Ces résultats ne préfigurent probablement pas une augmentation massive du nombre de végétariens ; en revanche, ils doivent interpeller les acteurs de la filière et en particulier les éleveurs : l’élevage intensif risque d’être de moins en moins bien toléré. Il semblerait qu’une partie des mangeurs de viande se dirigent vers une consommation moindre, mais de plus haute qualité. Un phénomène qu’a connu le milieu viticole à la fin du siècle dernier. Et qui permettrait peut-être aux éleveurs extensifs de mieux vivre de leur travail ? À condition que les déclarations des répondants soient suivies d’actes, et qu’ils acceptent de payer le prix d’une production naturellement moins productive…
* Enquête auprès de 500 personnes représentatives de la population française de 15 ans et plus, conduite online avec le panel Toluna du 29 mai au 1er juin 2015 et financée par la chaire SDSC (Sustainable Demand-Supply Chain) d’AgroParisTech (Université Paris-Saclay). Elle a été réalisée à des fins scientifiques par G. Cazes-Valette (Toulouse Business School), P. Gurviez et L. Valette-Blanc (toutes deux Université Paris-Saclay).
Par Geneviève Cazes-Valette, Anthropologue, Professeur de marketing, Toulouse Business School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.