Par Sylvie Borau, Camilla Barbarossa et Leila Elgaaied-Gambier.
En moyenne, les hommes adoptent moins de comportements pro-environnementaux que les femmes. Comme la consommation écologique est implicitement perçue comme un comportement féminin, cette réticence des hommes peut être inconsciemment alimentée par la crainte de paraître féminin, et donc peut-être de ne pas être attractif aux yeux du sexe opposé. C’est ce que certains nomment la masculinité fragile. Les résultats de notre recherche suggèrent pourtant que la consommation verte pourrait en fait augmenter l’attractivité d’un homme en tant que partenaire pour le long terme.
L’écart en matière de comportement écologique entre les hommes et les femmes est désormais bien documenté dans la littérature sur les comportements pro-environnementaux, et la consommation verte en particulier. Les femmes sont plus impliquées dans la préservation de l’environnement et s’engagent dans des comportements de consommation plus respectueux de l’environnement que les hommes. Ces derniers semblent réticents à l’idée de s’engager dans des actes de consommation éthiques en général, car ce type de consommation serait associé à la féminité. Pourquoi ? Car le stéréotype « écolo = féminin » pourrait constituer une menace pour leur identité masculine.
Ce comportement d’évitement à l’égard des produits verts pourrait cependant avoir des conséquences dramatiques pour l’avenir de notre planète. Certains pointent la masculinité toxique comme élément inducteur de ces comportements non responsables des hommes. Dans un autre contexte, cette masculinité toxique a récemment été jugée comptable du faible port du masque par les hommes pour se protéger du Covid-19, car les masques ne seraient pas jugés assez virils.
La masculinité toxique tend en effet à être associée à la compétition, au productivisme, et à l’utilisation non raisonnée des ressources de la planète, alors que la féminité est assimilée à l’altruisme, l’empathie, et au désir d’être en harmonie avec les autres et les éléments qui nous entourent.
Mais ce stéréotype féminin associé à l’écologie constitue-t-il toujours une menace pour les hommes ? Ou les hommes peuvent-ils au contraire tirer profit de ce stéréotype ?
Notre recherche récente publiée dans Psychology & Marketing tente de répondre à ces questions, et montre effectivement que signaler des qualités féminines n’est pas toujours préjudiciable pour les hommes, au contraire.
Les résultats d’une série d’études que nous avons réalisée auprès de plus de 1 500 répondants américains montrent que les hommes respectueux de l’environnement ont des qualités très recherchées chez un partenaire de vie. Par exemple, dans une étude, nous avons exposé 200 femmes à un ensemble de produits verts ou à un ensemble de produits conventionnels (sans référence à l’écologie). Ensuite, nous avons demandé à ces femmes de noter le propriétaire imaginaire de ces produits sur une liste d’adjectifs pouvant le décrire. Les résultats ont révélé que les propriétaires de produits verts sont certes perçus comme étant plus féminins mais, fait intéressant, pas moins masculins.
De plus, les résultats montrent que les femmes imaginent ces hommes comme plus altruistes, comme des partenaires plus fidèles et des pères de famille plus engagés et impliqués. Ces hommes sont également considérés comme plus désirables comme partenaires potentiels pour une relation à long terme par les femmes (hétérosexuelles) célibataires. Ces résultats ont été répliqués dans deux études supplémentaires.
Dans une dernière étude, nous avons vérifié si ces conclusions sur les hommes sont vraies. Nous avons interrogé 400 hommes afin d’en savoir plus sur leurs comportements et leur consommation écologique. Les résultats montrent que les hommes en couple et impliqués avec leur partenaire sont des consommateurs plus respectueux de l’environnement.
Ce résultat suggère que la consommation verte est un signal honnête de l’engagement des hommes à l’égard de leur partenaire de vie. En revanche, les pères de famille ne se déclarent pas davantage écologiques que les hommes sans enfant, probablement car la présence d’enfants au sein du foyer augmente le nombre d’actes délétères pour la planète, comme l’utilisation de la voiture pour les trajets familiaux par exemple – mais aussi, la consommation de nouveaux produits jetables qui génèrent beaucoup de déchets comme les couches, les lingettes, ou encore les compotes individuelles.
Ce lien entre consommation écologique, altruisme et engagement sur le long terme, suggère que le signal de féminité envoyé par la consommation écologique n’est pas systématiquement négatif pour les hommes. Au contraire, la consommation verte des hommes s’avère être un signal positif et attractif concernant leur personnalité, et non pas répulsif comme laissaient penser les résultats de recherches précédentes.
D’un point de vue évolutionniste, les femmes ont en effet intérêt à préférer un homme altruiste, fidèle et engagé – ces qualités augmentant par le passé leur survie et celle de leur progéniture. Si la consommation écologique communique ces traits (altruisme, fidélité) les femmes vont préférer les hommes qui consomment des produits verts, au moins pour une relation à long terme. Et si les hommes ont conscience de cette préférence, ils risquent de s’y conformer.
En effet, les comportements des hommes ont tendance à être fortement influencés par les préférences des femmes. Si les hommes adaptent leur comportement écologique pour tenir compte des préférences des femmes, ils finiront par accroître leur valeur en tant que partenaires pour une relation sur le long terme.
Plus globalement, cette préférence des femmes pour les hommes écoresponsables et altruistes signe peut-être l’avènement d’une masculinité moins toxique. Il y a encore quelques années, les publicitaires s’employaient en effet à renforcer l’idée d’une masculinité traditionnelle, en mettant en scène des hommes dominants et compétitifs. Depuis le mouvement « metoo », certaines marques ont bousculé les codes de la masculinité en mettant en scène dans leurs publicités des hommes moins dominants, moins compétitifs, et plus à l’écoute de leurs émotions.
C’est le cas des publicités signées par Gilette et Meetic qui prônent plutôt l’image de compagnons et de pères aimants, fidèles, et coopératifs. Même si elles ont créé un tollé sur les réseaux sociaux auprès des hommes, elles ont été plébiscitées par les femmes. On entrevoit ainsi une disparité entre ce que les hommes croient être attractifs aux yeux des femmes, et ce que les femmes trouvent attractif chez un homme – en tout cas pour tisser une relation à long terme.
Par conséquent, un levier pertinent pour augmenter la consommation verte chez les hommes serait de les informer des bénéfices que confère ce type de consommation aux yeux des femmes. La consommation verte peut véhiculer une image positive en signalant l’altruisme, l’engagement, et l’attachement pour son partenaire, qualités recherchées par les femmes.
Les entreprises et les gouvernements pourraient ainsi utiliser ces résultats pour accroître le comportement écologique des hommes, ce qui pourrait in fine avoir un effet bénéfique pour l’avenir de notre planète. Par exemple, les professionnels du marketing pourraient développer des publicités et des campagnes pro-environnementales montrant que les hommes qui possèdent des produits verts, ou qui adoptent des comportements de consommation écologiques, sont considérés comme plus désirables pour une relation à long terme. Communiquer sur l’avantage procuré aux hommes par les produits verts en matière de « dating », et le caractère honnête de ce signal pour les femmes (c.-à-d. partenaire fidèle) est une stratégie à développer.
Les hommes écoresponsables sont perçus comme plus désirables comme partenaires de vie pour le long terme. Et le comportement écologique des hommes est un signal honnête de la valeur d’un homme pour une relation à long terme. Promouvoir une masculinité moins toxique pourrait non seulement augmenter la valeur des hommes aux yeux des femmes, mais aussi préserver notre planète. Alors que le changement climatique s’accélère, il y a urgence à rallier les hommes à la cause écologique.
Comme on a vu l’émergence du #RealMenWearMasks on attend désormais une campagne #RealMenRecycle. Que ce soit le port du masque ou les comportements pro-environnementaux, la question du genre dans le marketing est loin d’être bénigne. La survie de notre planète en dépend.
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.