Par Baptiste Massenot
Afin de limiter les dégâts économiques associés à la pandémie actuelle, la Banque centrale européenne (BCE) a récemment décidé de racheter 750 milliards d’euros de dettes d’entreprise et d’état, soit environ 2 200 euros par habitant de la zone euro. Or, plutôt que d’acheter de la dette, pourquoi ne pas plutôt directement donner cet argent à la population, comme l’a proposé l’économiste libéral américain Milton Friedman en 1969 selon son principe d’hélicoptère monétaire (« helicopter money ») ?
Un célibataire toucherait ainsi directement 2 200 euros, une famille de quatre, 8 800 euros. Une goutte d’eau dans l’océan pour les plus aisés, mais un soulagement immense pour le reste, qui peine à boucler les fins de mois. À titre d’exemple, un Français sur 4 se déclarait en difficulté financière en 2017, selon le baromètre Cofidis-CSA.
Les plus démunis pourraient finalement effectuer les achats qui demeuraient en attente, ce qui relancerait l’économie. Des études économiques suggèrent que les ménages dépenseraient plus de la moitié de cette somme dans l’année qui suit, soit une croissance de l’économie de la zone euro d’environ 2 %.
Cette épargne accrue leur permettrait également de sortir d’un état d’esprit de rareté, au bénéfice de leur productivité et de leur bien-être.
Les leviers des banques centrales, qui reposent depuis quelques années sur le rachat de dette (programme d’assouplissement quantitiatif, ou quantitative easing), permettent de relancer l’économie et de stimuler l’inflation en facilitant l’accès au crédit et en faisant baisser les taux d’intérêt.
Ces mesures tendent à légèrement réduire les inégalités, grâce à une baisse du chômage, une augmentation des salaires, et une baisse des mensualités pour les propriétaires qui refinancent leur prêt immobilier ou qui bénéficient d’un prêt à taux variable.
Cependant, cette légère baisse globale de l’inégalité cache certaines injustices, notamment pour les personnes qui ne parviennent pas à trouver un emploi et pour qui il serait déraisonnable voire impossible de s’endetter. Ces groupes ne bénéficient pas des mesures de rachat de la dette. En revanche, l’hélicoptère monétaire bénéficierait à tout le monde de manière égalitaire.
De plus, ces mesures profitent aux plus riches, en augmentant la valeur de leurs actifs financiers. En effet, les taux d’intérêt bas poussent les investisseurs à s’orienter vers des actifs financiers plus rentables, tels que l’immobilier ou les actions en bourse. Ces réallocations font pression sur les prix de ces actifs, augmentant encore plus la richesse de leurs détenteurs.
Qu’elles le veulent ou non, les banques centrales influencent donc la répartition des richesses. Elles doivent décider si elles préfèrent favoriser les plus riches (en rachetant de la dette) ou les plus démunis (en ayant recours à l’hélicoptère monétaire).
Un meilleur accès au crédit permet de soulager certains ménages et entreprises à court terme. Cependant, cet endettement met également en danger leur pérennité financière. Lorsque les mensualités d’un prêt deviennent plus élevées, des évènements tels que la perte d’un emploi ou une baisse des ventes ont plus de chance de mener à la faillite.
Plusieurs études économiques montrent en effet qu’un endettement élevé de la population est l’un des signes les plus fiables de l’approche d’une crise financière et d’une récession. Étant donné que l’endettement des entreprises est déjà à un niveau historiquement élevé, les politiques de relance basées sur le rachat de la dette sont d’autant plus préoccupantes.
Ces politiques semblent en outre avoir atteint leurs limites. Les banques centrales ont en effet désormais une capacité limitée à faire baisser les taux d’intérêt, car ceux-ci ont atteint leur valeur plancher. Cet outil n’est donc plus disponible.
Les mesures d’assouplissement quantitatif ont également montré leurs limites au cours de la dernière décennie. La plus grande partie de la création monétaire associée au quantitative easing est restée dans les coffres des banques, sous forme de réserves excédentaires. Le quantitative easing améliore certes la santé financière des banques et des grandes entreprises mais pas celle des ménages et des petites entreprises. En conséquence, les effets sur l’économie se font attendre.
Alors, comment expliquer la frilosité des banques centrales à utiliser l’hélicoptère monétaire ? À l’inverse de ces politiques traditionnelles de rachat de dette qui n’augmentent que temporairement la quantité de monnaie dans l’économie, l’hélicoptère monétaire implique une augmentation permanente de la quantité de monnaie.
En conséquence, l’hélicoptère monétaire effraie et demeure un tabou car il rappelle les épisodes d’hyperinflation qu’ont connus l’Allemagne de Weimar ou le Venezuela de nos jours.
Cependant, contrairement à ces épisodes dramatiques, l’hélicoptère monétaire est une mesure temporaire et limitée. En conséquence, l’inflation augmenterait de manière temporaire et limitée.
Finalement, les banques centrales devraient donc se réjouir de la capacité de l’hélicoptère monétaire à créer de l’inflation, qui reste obstinément faible dans la zone euro ou aux États-Unis, en dépit des efforts massifs déployés par les banques centrales.
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.