Afin de marquer des points dans la compétition mondiale pour attirer les talents, les entreprises ont tout intérêt à mener une politique de ressources humaines spécifique à destination des expatriés indépendants. Akram Al Ariss, enseignant-chercheur à Toulouse Business School, a réalisé une revue de la recherche scientifique sur ce sujet essentiel.

L’ampleur du phénomène des migrations internationales ne se dément pas depuis plusieurs années : de 214 millions en 2010, le nombre de personnes vivant hors de leur pays d’origine est passé à 232 millions et pourrait encore augmenter de 96 millions de personnes d’ici à 2050 selon les estimations de l’Organisation des Nations Unies. Cette population extrêmement hétérogène par ses origines géographiques, culturelles mais aussi par son niveau d’éducation et de qualification, a été jusque-là peu étudiée par la recherche.

Les expatriés indépendants, un vivier de compétences

Pourtant, ces expatriés constituent un vivier de talents et de compétences pour les pays d’accueil et pour les entreprises qui pourrait se révéler un atout dans la compétition internationale. C’est en  particulier le cas  des expatriés indépendants, constitués d’individus qui se sont déplacés de leur propre initiative, en général diplômés, expérimentés, avec un important bagage linguistique et culturel. Encore faut-il parvenir à les identifier, à les recruter et à les fidéliser en tenant compte de leurs aspirations. Cela nécessite, de la part des entreprises, de mettre en place une stratégie de ressources humaines spécifiquement adaptée à leur situation.

C’est un enjeu particulièrement important pour les entreprises qui se développent à l’international. Pour des raisons de coûts, au schéma classique d’expatriation de leurs salariés dans des conditions très favorables de salaire et d’avantages de toute sorte, elles ont substitué depuis plusieurs années un modèle « local-plus » plus économique, dans lequel le salarié démissionne pour être réembauché sur la base d’un contrat local, à des conditions nettement moins avantageuses. Mais ce système, qui engendre une frustration et une démotivation compréhensibles, conduisant souvent à une démission rapide, est contreproductif. Car en réalité, plus que le salarié, c’est l’entreprise qui en sort perdante à long terme : l’économie réalisée n’est qu’apparente, puisque la stratégie « local-plus » crée un turn-over préjudiciable à l’activité, conduit à une fuite des talents de l’entreprise et trouble son image auprès des candidats à l’expatriation. Le recrutement d’expatriés indépendants constitue sans doute une alternative intéressante pour sortir de cette impasse, puisque, déjà expatriés pour des raisons non professionnelles, ils accepteront bien plus volontiers de travailler aux conditions du marché local.

Lever les freins à leur intégration professionnelle

La question se pose en fait pour toutes les entreprises : comment cibler et toucher ces profils à haute valeur ajoutée ? Tout simplement en tenant compte de leurs problématiques spécifiques. Les situations diffèrent selon les parcours, les pays d’origine et les pays d’accueil, mais les études ont montré que les expatriés indépendants font face à un certain nombre de barrières et de contraintes qui limitent leurs possibilités d’intégration. Parmi les plus communes, on citera les politiques migratoires des États, concernant notamment les visas et les permis de travail, la reconnaissance ou non des qualifications et des expériences professionnelles, la maîtrise de la langue et des codes de communication et, plus sournoisement, les discriminations de toutes sortes. Ces difficultés sont d’ailleurs accentuées lorsqu’il s’agit de femmes, ce qui est le cas aujourd’hui d’un expatrié indépendant sur deux. La première responsabilité des entreprises est de reconnaître ces obstacles, et ensuite d’aider les expatriés indépendants à les contourner ou à les surmonter afin de faciliter leur embauche et de leur permettre de trouver un travail correspondant à leurs compétences.

Une stratégie RH différenciée

Le rôle de la politique de ressources humaines est fondamental sur deux points particuliers : les procédures de recrutement et de sélection, d’une part, et l’adaptation culturelle, d’autre part. En matière de recrutement, les pratiques doivent s’adapter à cette population, afin non seulement de ne pas l’exclure (par exemple en négligeant ses canaux de communication préférentiels ou en exigeant une expérience professionnelle locale que, par définition, elle n’a pas), mais aussi de la séduire (par exemple en ne se cantonnant pas à une description technique du poste proposé mais en donnant une information globale sur les perspectives de vie qui y sont liées). Pour l’entreprise, le bénéfice principal de cette approche proactive et différenciée est de ne pas passer à côté de cette main d’œuvre qualifiée.

La seconde priorité est ensuite de les fidéliser dans l’entreprise en facilitant leur intégration et leur adaptation culturelle. La recherche n’apporte pas de réponse globale et définitive sur les raisons qui motivent un expatrié indépendant à rester en poste, d’autant plus que ces raisons peuvent varier d’un pays à l’autre. Cependant, le management des ressources humaines doit s’attacher à les comprendre afin de mettre en place des solutions adaptées.

Ce sont là quelques pistes issues des résultats de la recherche. L’élaboration d’une stratégie RH pertinente et adaptée en direction des expatriés indépendants est en tout cas indispensable. C’est, quoi qu’il en soit, une politique gagnant-gagnant, pour les expatriés eux-mêmes, bien sûr, dont le pari de la mobilité se voit ainsi couronné de succès, mais tout autant pour les entreprises, qui parviennent à attirer les meilleurs profils, ce qui leur donne un avantage décisif dans la compétition mondiale. En effet, cette main-d’œuvre internationale est source de diversité, de créativité et d’innovation. Les entreprises gagnantes seront celles qui sauront, au-delà des stéréotypes, des discriminations et des barrières de tout ordre, se montrer à l’écoute de ces ressources humaines circulant à travers le monde.

Par Akram Al Ariss et les articles « Self-initiated expatriation and migration in the management litterature », coécrit avec Marian Crowley-Henry (Department of Management, National University of Ireland Maynooth), publié dans Career Development International (2013) ; « Human resource management of international migrants : current theories and future research », coécrit avec Chun Guo (Department of Management, Sacred Heart University, Fairfiels, CT, USA), publié dans The International Journal of Human Resource Management, 2015. A lire (ouvrages) : – Self-Initiated Expatriation : Individual, Organizational and National Perspectives, Akram Al Ariss, Routledge, 2013. – Global Talent Management : Challenges, Strategies, and Opportunities, Akram Al Ariss, Springer, 2014.

Méthodologie

Pour la rédaction de ces deux articles, Akram Al Ariss et ses deux coauteurs ont réalisé une revue de l’ensemble des études réalisées sur le sujet de l’expatriation indépendante en analysant les données de l’Institute for Scientific Information, qui recense les principales revues scientifiques, avant de l’élargir pour la rendre la plus exhaustive possible. Cette recension leur a permis d’établir un certain nombre de conclusions à partir des recherches menées sur ce sujet dans le monde et d’ouvrir des pistes pour de nouveaux travaux.