Par Alain Klarsfeld.
En France, les débats sur l’efficacité du système scolaire se cristallisent autour de l’autonomie du chef d’établissement. Une focalisation qui conduit à ignorer de nombreuses questions de management. Une analyse détaillée de certains aspects de l’organisation du système scolaire canadien – dont les bonnes performances ont été saluées par la dernière enquête PISA – fait ressortir des éléments bien plus riches.
Au Canada, le chef d’établissement est, en effet, plus autonome que son homologue français. Mais ceci est vrai dans bien d’autres pays ayant des performances éducatives moins bonnes, comme les États-Unis par exemple. On ne saurait donc trouver dans la seule autonomie des chefs d’établissements, l’explication de la bonne performance du Canada.
Il y a bien ici un « elephant in the room », une évidence si forte qu’elle est généralement invisible et absente des débats : un système éducatif est une organisation complexe dont la classe et l’établissement d’enseignement ne sont que la partie émergée.
Ce n’est pas le professeur qui éduque, seul et dans un face à face obscur, une trentaine de jeunes. Ni même une équipe d’enseignants dans un établissement isolé, sous la seule houlette d’un directeur ou d’une directrice. C’est toute une organisation – dont la maille et la qualité varient considérablement d’un pays à l’autre – qui éduque l’ensemble des jeunes à l’intérieur du périmètre qu’elle recouvre.
Au Canada, les écoles relèvent d’une organisation pleine et entière, le « conseil scolaire » (school board) qui regroupe plusieurs écoles, collèges et lycées d’un ensemble géographique donné ; une sorte de circonscription scolaire canadienne opérant sous le niveau de la province.
Prenons comme exemple l’un des huit conseils scolaires de la Nouvelle-Écosse (une province canadienne qui compte environ un million d’habitants). À sa tête se trouve un conseil d’administration élu, formé de personnalités extérieures, mais également un directeur général reportant à la fois à ce conseil d’administration et au ministère de l’Éducation de la province. Les huit conseils scolaires de Nouvelle-Écosse, gérant entre 500 (pour les plus petits) et 5 000 (pour le plus grand, celui de l’agglomération de la capitale Halifax) enseignants – selon une personne travaillant dans l’un de ces conseils et interrogée à ce sujet en novembre 2016.
La province canadienne de la Nouvelle-Écosse (en rouge, cliquez sur l’image pour l’agrandir). GoogleLes responsables d’établissements eux-mêmes recrutent, évaluent, organisent le soutien et la formation, recadrent et, dans de très rares cas, exercent un réel pouvoir de sanction. Ils font tout ceci en lien avec la direction des ressources humaines du conseil scolaire, et pas de façon isolée. Dans les plus grands établissements, comptant environ 1 500 élèves (par exemple dans un des lycées d’Halifax, la capitale), on peut compter jusqu’à 150 enseignants ; le principal est assisté de trois adjoints.
L’évaluation de l’enseignant ne consiste pas en une note, mais en la construction d’un projet sur ses propres points à améliorer, partant non d’un jugement extérieur mais faisant appel à sa propre formulation, en concertation avec son chef d’établissement et la direction des ressources humaines du conseil scolaire. Le but est formatif (aide au développement) et non sommatif (sanction débouchant ou non sur un échelon indiciaire car la grille salariale ne prend pas en compte cette évaluation).
S’intéresser à l’organisation, c’est aussi regarder à la loupe les autres activités dites de soutien organisationnel, c’est-à-dire de soutien aux enseignants et aux élèves.
En France, ce sont les RASED, institués en 1990 et rattachés aux circonscriptions scolaires, qui constituent l’essentiel des moyens mis à disposition des enseignants (du seul primaire) pour soutenir les élèves en difficultés. Leurs effectifs ont fondu d’un tiers entre 2008 et 2012. L’ordre de grandeur actuel est d’environ 2,5 RASED pour 100 enseignants dans le primaire. Au plus haut de leurs effectifs, en 2008, ce ratio était d’environ 4 RASED pour 100 enseignants du primaire. Ces moyens sont sans commune mesure avec ceux mis en place au Canada.
Revenons à l’exemple du conseil scolaire, un des huit que compte la Nouvelle-Écosse. Il affiche environ 5 000 élèves dans une vingtaine d’établissements encadrés par 550 enseignants environ.
Il y a environ « 20 mentors pédagogiques » à temps plein ou partiel (selon la taille de l’établissement), soit un pour chaque établissement scolaire. Le mentor pédagogique aide les enseignants à améliorer leur pédagogie, indépendamment de la discipline. Ces mentors constituent la partie émergée de l’iceberg des métiers de soutien, car forcément visibles dans toutes les écoles du conseil scolaire.
Quarante « enseignants ressources » tournant entre les différents établissements aident à mettre en place des plans de progrès individualisés pour chaque élève qui rencontre des problèmes de progression ; ces derniers peuvent être liés à des difficultés de comportement ou cognitives.
Environ 100 « aides-enseignants » accompagnent, parfois tous les jours, à temps plein et de façon individuelle, les élèves présentant les difficultés les plus importantes ; ces difficultés peuvent concerner un comportement difficile et/ou à un handicap moteur ou psychique.
Six « mentors spécialisés » en mathématiques et en maîtrise de la langue sont à la disposition des enseignants de ces disciplines dans tout le conseil scolaire, en lien avec le plan d’action éducation de la province de Nouvelle-Écosse qui met un accent particulier sur ces deux domaines de compétences dans lesquels la Province souhaite progresser. Douze « conseillers d’éducation » sont également à la disposition des 5 000 élèves, soit 1 pour 400 élèves, y compris du primaire.
En France, un conseiller (ici d’orientation, pour le collège seul) couvre a minima 1 000 élèves. Du côté du conseil scolaire canadien, on compte également cinq orthophonistes. Enfin, quatre psychologues scolaires permettent de traiter les cas les plus difficiles.
En prenant en compte l’ensemble des moyens de soutien aux enseignants et aux élèves, on arrive à un total d’environ 30 personnels de soutien pour 100 enseignants, tant au primaire qu’au secondaire. On est bien loin du rapport de 2,5 RASED pour 100 enseignants (du seul primaire) en vigueur en France ; sans compter que ce type d’assistance fait cruellement défaut dans le secondaire.
Le soutien, c’est enfin la formation continue : soit, au Canada, un socle de cinq jours par an destinés à tous les enseignants ; et un budget supplémentaire dédié aux demandes individuelles des enseignants, faisant qu’environ 25 % d’entre eux suivent un, deux ou trois jours de formation supplémentaires chaque année, sur des sujets spécifiques liés à leurs demandes individuelles, selon un responsable au sein du département de l’éducation de Nouvelle-Écosse interrogé en novembre 2016.
Les actions de formation prennent des formes multiples et incluent des « jumelages » permettant à un enseignant d’observer un collègue ayant une expertise pédagogique spécifique reconnue (par exemple, la maîtrise de comportements agressifs ou celle des nouvelles technologies) pendant une journée, afin d’enrichir sa propre pratique. Par contraste, en France, la formation continue des enseignants du secondaire était en moyenne de 1,8 jour par enseignant à la fin de la décennie 2000.
La puissance d’un système éducatif ne repose donc pas seulement sur des enseignants de qualité gérés de façon autonome par un responsable d’établissement, mais sur un ensemble de mesures de soutien, tant aux enseignants qu’aux enfants et adolescents ; cela suppose une organisation regroupant plusieurs établissements, des pratiques d’évaluation constructive, des actions de formation diversifiées ainsi que des personnels de soutien exerçant des métiers reconnus.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.