[su_pullquote align=”right”]Par Camilla BARBAROSSA[/su_pullquote] Ces dernières années, les débats internationaux en matière de politique environnementale ont tendance à désigner de plus en plus la consommation des ménages dans les pays industrialisés comme l’un des principaux facteurs à l’origine des problèmes environnementaux. Dans la plupart des pays, elle représente plus de 60% de tous les impacts environnementaux sur l’ensemble du cycle de vie des produits.
Dans ce contexte, la question de l’utilisation de produits respectueux de l’environnement en vue de réduire l’empreinte écologique des consommateurs a été récemment débattue, en particulier à propos des produits achetés régulièrement, tels que les produits en papier tissu écoresponsables, les détergents biodégradables et les alternatives aux produits suremballés et aux produits en plastique.
Les responsables politiques et les organisations non gouvernementales ont élaboré des politiques (par ex., le plan d’action de l’UE) et des campagnes de sensibilisation au comportement pro-environnemental (par ex., la campagne du WWF « Don’t Flush Tiger Forests ») visant à promouvoir l’achat de produits alternatifs respectueux de l’environnement. Toutefois, la part de marché actuelle des produits écologiques demeure relativement faible.
Afin d’améliorer l’efficacité des politiques et des campagnes de marketing social et d’encourager la diffusion de produits écoresponsables sur le marché, il convient de définir deux objectifs spécifiques : premièrement, mieux connaître les facteurs qui incitent les consommateurs à acheter des produits écologiques, et les facteurs qui les freinent et, deuxièmement, évaluer si ces facteurs peuvent varier d’un segment de consommateurs à l’autre. Ces connaissances sont essentielles pour élaborer des politiques et des stratégies de marketing plus efficaces et adaptées aux différents segments de la population, variant en fonction de caractéristiques spécifiques (par ex., engagement environnemental).
L’étude Une récente étude que j’ai réalisée avec Patrick De Pelsmacker de l’université d’Anvers, traite cette problématique. Premièrement, nous avons développé un modèle visant à déterminer quels sont les facteurs qui incitent les consommateurs à acheter des produits écologiques et quels sont ceux qui freinent les achats écoresponsables. Deuxièmement, nous avons comparé ce modèle entre deux segments de consommateurs : les consommateurs «green » (qui ont déjà des comportements pro-environnementaux – comme le recyclage, la réduction des déchets ménagers – pour des raisons écologiques) par opposition aux consommateurs « non green » (c’est-à-dire qui ne sont pas engagés dans des comportements pro-environnementaux).
L’étude a porté sur 926 répondants adultes qui ont l’habitude de faire les courses pour le foyer. Plus précisément, l’échantillon était composé de 453 consommateurs « green » et de 473 « non greens ». Tous les répondants ont complété un questionnaire avec une série de questions destinées à évaluer dans quelle mesure certains facteurs peuvent influencer positivement ou négativement leur décision d’acheter des produits écologiques. Ils ont également répondu à des questions sur leur intention d’achat de produits respectueux de l’environnement et sur leur comportement en matière d’achat écoresponsable.
Résultats et implications Les résultats de notre enquête révèlent des différences notables dans la volonté d’acheter des produits écologiques entre les consommateurs « green » et les consommateurs « non green ». Conformément aux attentes, les consommateurs « green » sont plus enclins à acheter des produits écologiques que les consommateurs « non green ».
En outre, nos résultats indiquent que les deux groupes de consommateurs sont influencés par différents facteurs dans les achats de produits alternatifs respectueux de l’environnement. Par exemple, les consommateurs « green » peuvent vouloir acheter des produits écologiques parce qu’ils désirent produire une impression favorable d’eux-mêmes sur les autres personnes concernées. Ce n’est pas le cas de consommateurs « non green ». Les consommateurs « green » semblent préoccupés par l’impact de leurs choix de consommation sur l’environnement naturel, ce qui les pousse à opter pour des alternatives respectueuses de l’environnement. En revanche, les consommateurs « non green » sont moins portés à tenir compte de l’empreinte de leurs actions individuelles lorsqu’ils font les courses.
Tant les consommateurs « green » que les « non green » pensent qu’une consommation éco-responsable est chronophage, financièrement désavantageuse et stressante. Cependant, la perception négative des inconvénients personnels liés à l’achat de produits écologiques se traduit différemment entre les deux groupes de consommateurs. D’une part, elle contribue à renforcer la réticence des consommateurs « non green » à adopter des alternatives écologiques. D’autre part, elle est principalement observée chez les consommateurs « green » à l’intérieur du point de vente (par exemple, en raison du fait que les produits écologiques ne sont pas toujours disponibles ou de leur choix restreint), d’où la fréquente incohérence de ces consommateurs entre leurs intentions (éco-responsable ) déclarées et leur comportement d’achat réel (pas toujours éco-responsable ).
Les spécialistes du marketing, les responsables politiques et les entreprises peuvent utiliser les résultats de notre étude pour favoriser la consommation de produits écologiques en élaborant des programmes de communication spécialement conçus pour les consommateurs « green » et « non green ». Par exemple, l’argument de l’impact environnemental de l’achat et de la consommation de produits n’est pertinent que pour les consommateurs « green », alors qu’il devrait être ignoré pour les consommateurs « non green ». Pour les consommateurs « green », les entreprises peuvent développer des partenariats avec des organisations favorables à la cause de l’environnement (comme Kimberly Clark et WWF l’ont fait) en vue de s’adresser aux membres verts actifs avec des campagnes de marketing sur mesure. Cette communication devrait se focaliser sur la quantité de ressources naturelles que les consommateurs peuvent économiser en achetant des alternatives écologiques. À titre d’exemple, Small Steps a développé un outil (Tree Calculator) pour calculer le nombre d’arbres et la quantité de CO2 et d’eau qu’un individu ou une famille peut économiser en achetant un ou plusieurs paquets de produits en papier tissu respectueux de l’environnement.
Par ailleurs, la perception qu’ont les consommateurs des inconvénients liés à l’achat de produits écoresponsables, réduit l’intention et le comportement d’achat de produits écologiques tant chez les consommateurs « green » que chez les « non green ». S’il n’est pas remédié aux défaillances du marché, les consommateurs « green » et « non green » ne pourront pas acheter de manière responsable. Par conséquent, une série d’initiatives de politique publique devrait se concentrer sur les « politiques économiques » et viser par exemple à obtenir les bons prix ou à utiliser des instruments fiscaux pour tenir compte des impacts environnementaux et autres externalités qui ne se reflètent pas dans les prix du marché. En outre, et plus important encore, lorsqu’ils ciblent les consommateurs « non green », les spécialistes du marketing devraient chercher à accroître leurs intentions d’achats écoresponsables en réduisant leur perception de ces produits comme des substituts peu efficaces des produits conventionnels. Par contre, lorsqu’elles ciblent les consommateurs « green », les entreprises devraient améliorer la perception par les consommateurs de l’accessibilité et de la sensibilisation aux produits écologiques à l’intérieur du magasin. À cet égard, la technologie des smartphones (par ex. via l’application GoodGuide) peut fournir aux consommateurs « green » des informations en temps réel – lorsqu’ils font leurs courses – sur la présence de tels produits à l’intérieur du magasin.
En conclusion, la diffusion de produits respectueux de l’environnement sur le marché dépend dans une large mesure de leur acceptation par les consommateurs. Différents segments de consommateurs peuvent être encouragés à privilégier des alternatives écologiques pour différentes raisons. Notre étude a visé à étendre les connaissances sur les variations de ces motivations entre deux segments de consommateurs : les consommateurs « éco-responsable » et « non éco-responsable » . Ces connaissances sont indispensables pour élaborer des stratégies de communication sur mesure – par opposition à des stratégies de communication normalisées – lorsqu’on cible un groupe de consommateurs en particulier ou différents groupes simultanément.
Cet article a été publié à l’origine dans le Journal of Business Ethics (2016)