Article The Conversation par :
Delphine Godefroit-Winkel, Professeur associé de marketing TBS
Marie Schill, Maître de conférences, HDR, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
Mine Ucok Hughes, Associate Professor of Marketing, California State University, Los Angeles

Ces dernières années, les conséquences du changement climatique sont devenues plus visibles. Des incendies détruisent les forêts et menacent les populations en Méditerranée, les inondations dues aux crues des rivières ne se comptent plus, les canicules se succèdent et le niveau des océans continue dangereusement de s’élever.

Le dernier rapport du GIEC publié en août 2021 est alarmant et incite les États à prendre des décisions politiques ambitieuses et contraignantes. Mais que pensent les consommateurs des actions de leur pays en matière de changement climatique ? Plus particulièrement, les actions prises par les pays impactent-elles les attitudes des consommateurs vis-à-vis de leur pays ?

Avec notre équipe de recherche, nous avons mené une étude auprès de plus de 1300 consommateurs américains, français et marocains qui apporte quelques éléments de réponses. Les États-Unis, la France et le Maroc sont intéressants à considérer en matière d’action climatique car ils ont tous les trois joué un rôle important dans les engagements envisagés à l’échelle internationale, notamment à partir de la COP21.

Les citoyens sensibles aux mesures climatiques

Quels que soient leur nationalité et leur pays de résidence, les consommateurs interrogés ne se montrent pas insensibles aux actions de lutte contre le changement climatique. Face à la mise en œuvre de mesures allant dans ce sens par leur pays, l’image qu’ils en ont est améliorée. Le modèle d’équations structurelles que nous avons construit permet de mettre en évidence ces liens : chez les Américains, le coefficient de régression est de 0,39, chez les Français, de 0,30 et chez les Marocains, de 0,55. Autrement dit, si l’évaluation par les consommateurs des actions climatiques menées par leur pays augmente d’un point, leur bienveillance vis-à-vis de leur pays augmentera respectivement de 0,39, 0,30 et 0,55 chez les Américains, les Français et les Marocains.

En d’autres mots, nous consommateurs sommes sensibles aux actions de notre pays, telles que la mise en place de programmes environnementaux, l’offre de services publics compatibles avec l’environnement (transports en commun utilisant de l’énergie renouvelable…) ou le recyclage des déchets. Il semblerait donc que tous les pays désireux d’améliorer leur cote de popularité devraient investir dans des actions de lutte contre le changement climatique.

À y regarder de plus près néanmoins, ce constat est à nuancer. Tous et toutes ne répondent pas avec la même intensité aux initiatives nationales en faveur du climat.

Des trois pays au sein desquels nous avons enquêté, les Marocains apparaissent les plus réceptifs. Les Français portent quant à eux le regard le moins positif des trois sur leur propre pays lorsqu’il s’attaque à ces enjeux. Comment expliquer ces différences ?

Un engagement environnemental précoce de la France

Les pays étudiés ont une histoire différente quant au changement climatique. Si les trois affichent un rôle prépondérant dans les accords internationaux relatifs au changement climatique, ils ont néanmoins adopté face à lui des postures différentes. La France a accueilli la COP 21 en 2015, le Maroc l’a organisée en 2016, tandis qu’en 2017 les États-Unis se retiraient des accords de Paris – avant de les réintégrer en 2021.

Ils ont toutefois débuté leurs actions de protection de l’environnement et leur lutte contre le changement climatique à des moments distincts. La France a une ancienneté certaine dans les actions environnementales alors que les États-Unis et le Maroc ne se sont engagés officiellement que récemment dans la protection de l’environnement.

Dans la France des années 1980-1990, une série de mesures avaient déjà été prises pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, limiter la dépendance à l’énergie fossile et favoriser la biomasse-énergie – effluents d’élevage, biodéchets des ménages, boues de stations d’épuration, etc. Ces dispositions ont contribué à construire un contexte institutionnel particulièrement propice pour accompagner les débats et décisions à l’échelle internationale liés au changement climatique.

États-Unis et Maroc, des efforts plus récents

Pour sa part, le Maroc n’a institutionnalisé sa politique en la matière que très récemment, mais ses actions sont nombreuses : un plan climat national 2020-2030 a été présenté en 2009 à la COP15, la nouvelle constitution de 2011 qui reconnaît le développement durable comme un droit pour les citoyens marocains, le classement de l’indice de performance climatique qui reconnaît le Maroc comme étant dans le top 10 mondial, ou la centrale solaire Noor qui prévoit d’exporter de l’énergie vers l’Europe. Le Maroc construit la plus grande centrale solaire du monde (Euronews, 28 octobre 2016).

Aux États-Unis, le changement climatique apparaît aussi comme une préoccupation plus récente. Le pays dépendant principalement des énergies fossiles, les divisions sont fortes en son sein. Ainsi, seuls 23 États sur les 50 ont rejoint la US Climate Alliance, une coalition visant à réduire les gaz à effet de serre.

Dans ce contexte, la Californie est un État leader pour la lutte contre le changement climatique. Des programmes sont mis en place pour réduire l’utilisation du pétrole de 50 % dans les véhicules automobiles, ou doubler l’efficacité énergétique dans les bâtiments.

Les Français plus critiques

Malgré cette avance de la France et la préoccupation de ses citoyens, l’engagement précoce de l’Hexagone sur les questions environnementales a essentiellement mobilisé les institutions publiques et les acteurs économiques, beaucoup plus timidement la société civile. Si les Français ont des attentes en matière d’environnement, ils se montrent également plus réticents vis-à-vis de certaines mesures contraignantes de lutte contre le changement climatique, telles que l’augmentation du prix de l’essence.

Les décisions prises par les institutions nationales semblent mieux reçues chez les Marocains et les Américains. Toutefois, les premiers appellent de leurs vœux des actions climatiques de grande envergure autour notamment de la gestion de l’eau potable pour le futur, et deux tiers des Américains estime que leur gouvernement devrait faire plus pour le climat.

Le rôle de communication des entreprises

Les actions prises à l’échelle nationale pour lutter contre le changement climatique ont donc un impact certain sur les attitudes des consommateurs vis-à-vis de leur pays. Il apparaît alors opportun que les entreprises visant un marché international relayent les actions prises par leurs gouvernements pour lutter contre le changement climatique, en promouvant le caractère local de leurs produits par exemple. Le « made in » local prend ici toute son ampleur.

Dans ces stratégies internationales, les spécificités des contextes locaux doivent être prises en compte. Ainsi, des communications visant à combiner les efforts nationaux aux efforts des entreprises locales seront plus efficaces dans des pays comme les États-Unis ou le Maroc.

En France, une de nos études laisse penser que les citoyens attendent davantage d’efforts des entreprises que du gouvernement. On peut ainsi supposer qu’une politique de communication principalement basée sur les actions mêmes de l’entreprise plutôt que sur celles du gouvernement serait plus efficace en France pour encourager la consommation de produits locaux et soutenir la lutte contre le changement climatique.

Des études supplémentaires sont attendues pour évaluer et identifier les communications efficaces pour renforcer l’impact des actions menées au niveau des entreprises et des pays pour lutter contre le changement climatique.


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